L’image Double

En dehors de la charge affective que la vision d’un simulacre attribue à la perception d’un objet, celui-ci peut aller jusqu’à changer de nature et se confondre dans un autre. Une pomme peut se changer par exemple en épaule, sans qu’aucun élément ne soit modifié dans la réalité. Les deux visions constituent deux simulacres qui, lorsqu’ils coexistent en une même forme, constituent « une image double : c’est-à-dire la représentation d’un objet qui, sans la moindre modification figurative ou anatomique, soit en même temps la représentation d’un autre objet absolument différent, dénuée elle aussi de tout genre de déformation ou anormalité qui pourrait déceler quelque arrangement […] Ces nouveaux simulacres menaçants agiront habilement et corrosivement avec la clarté des apparences physiques et diurnes »1.

Il s’agit là de l’un des procédés centraux de la démarche paranoïaque-critique. Salvador Dalí en situe l’origine lorsque, enfant, il avait aperçu en bord de mer, à Cadaqués, des arbustes dont les feuilles étaient animées d’un mouvement propre et semblaient capables de marcher toutes seules. La découverte de ces feuilles, qui s’avéraient être des insectes, des phasmes, fut pour lui la « révélation du mimétisme » qui « influença la cristallisation des images paranoïaques »2.

Métamorphose de Narcisse, 1937
Huile sur toile, 51,1 x 78,1 cm
Tate, Londres. Achat, 1979

Image double et double image, jeux de miroirs et réversibilité du sens… Dans Métamorphose de Narcisse, Dalí rattache sa démarche paranoïaque-critique à la tradition picturale baroque, qui associait au motif des reflets le thème des apparences fugitives du monde sensible. S’inspirant du mythe de Narcisse, mis en vers par Ovide dans ses Métamorphoses, il invoque également la tradition classique pour mettre sa mythologie personnelle en abîme. Le narcissisme du peintre est ici au cœur du sujet. Le personnage de pierre qui observe son reflet dans l’eau se reflète également dans la figure de gauche, représentant une main qui tient un œuf. Or, l’image de la main, organe du peintre, objet de son narcissisme, se confond avec celle d’un personnage dont la posture méditative, voire mélancolique, pourrait aussi bien être celle de la masturbation. L’artiste évoquerait ces moments où, prostré au pied du Parnasse, il se livre aux plaisirs de l’onanisme, sublimant dans leurs représentations les phantasmes sexuels qu’il ne peut assouvir.

Paradoxalement, et bien que la main soit envahie par les fourmis, l’œuf qu’elle porte au ciel donne naissance à un narcisse, annonçant une renaissance qui a peut-être lieu dans l’œuvre même.
L’ambivalence des images associée à leur dédoublement traduit par ailleurs une interrogation du peintre sur sa propre identité, celui-ci revenant souvent sur le sujet de son frère mort avant sa naissance. Egalement appelé Salvador, il lui avait été non seulement donné son prénom mais aussi ses premiers habits. Le thème de la gémellité recoupe ainsi celui du double, brouillant un peu plus les pistes interprétatives.

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